Cet arrêt de la Chambre commerciale de la Cour de cassation, rendu le 19 octobre 2022, porte sur la question de la charge de la preuve de la répercussion du surcoût causé par une pratique anticoncurrentielle sur les consommateurs. La Cour de cassation se prononce sur la compatibilité entre le droit national français et la directive 2014/104/UE relative aux actions en dommages et intérêts pour les infractions au droit de la concurrence.
Les sociétés Carrefour, qui font partie du groupe Carrefour, ont assigné la société Johnson & Johnson santé beauté France (JJSBF) en réparation du préjudice causé par une entente illicite sur le marché français de l'approvisionnement en produits d'hygiène. La société JJSBF avait été condamnée par l'Autorité de la concurrence pour avoir pratiqué des prix concertés avec la grande distribution. Les sociétés Carrefour demandent des dommages et intérêts en raison du surcoût occasionné par cette entente.
Les sociétés Carrefour ont introduit leur demande en indemnisation le 23 janvier 2017. La cour d'appel de Paris a rejeté leur demande en se fondant sur le fait qu'elles n'avaient pas démontré qu'elles n'avaient pas répercuté le surcoût sur les consommateurs.
La question posée à la Cour de cassation est de savoir si la charge de la preuve de la répercussion du surcoût incombe au demandeur à la réparation ou au défendeur à l'action.
La Cour de cassation constate que le droit national en vigueur à la date de transposition de la directive 2014/104/UE, selon lequel la preuve de la répercussion du surcoût incombe au demandeur à la réparation, est incompatible avec les dispositions de l'article 13 de cette directive. Selon cet article, la charge de la preuve de la répercussion du surcoût incombe au défendeur à l'action. Cependant, la Cour de cassation précise que cette incompatibilité ne s'applique pas aux faits générateurs de l'action en responsabilité qui sont antérieurs à l'entrée en vigueur de l'article L. 481-4 du code de commerce, issu de la transposition de la directive. Par conséquent, il revient à la victime de l'entente de prouver qu'elle n'a pas répercuté sur les consommateurs le surcoût occasionné par les pratiques illicites de leurs fournisseurs.
Portée : La décision de la Cour de cassation clarifie la répartition de la charge de la preuve dans les actions en dommages et intérêts pour les pratiques anticoncurrentielles. Elle confirme que, pour les faits antérieurs à l'entrée en vigueur de l'article L. 481-4 du code de commerce, la charge de la preuve de la répercussion du surcoût incombe au demandeur à la réparation. Cette décision est importante car elle établit une distinction entre les règles de preuve applicables avant et après la transposition de la directive 2014/104/UE.
Textes visés : Article 13 de la directive 2014/104/UE du Parlement européen et du Conseil du 26 novembre 2014 relative à certaines règles régissant les actions en dommages et intérêts en droit national pour les infractions aux dispositions du droit de la concurrence des Etats membres et de l'Union européenne, intitulé « Moyen de défense invoquant la répercussion du surcoût » ; article L. 481-4 du code de commerce issu de la transposition de la directive 2014/104/UE par l'ordonnance n° 2017-303 du 9 mars 2017 relative aux actions en dommages et intérêts du fait des pratiques anticoncurrentielles.